1975, c’est l’année à laquelle est arrivé mon père à Paris. Il se souvient. Tout était déjà là. Les tours de 30 étages. Les toits des boutiques en forme de pagode. Même ce restaurant immense, le Chinatown, où l’on fête le Nouvel An et les mariages de la communauté asiatique.
Cette année-là, cet ensemble de béton connu sous le nom des Olympiades s’élevait de terre. Des immeubles de 100 mètres de haut construit sur l’emplacement d’une ancienne gare à charbon, mais boudés par les Français qui refusèrent de s’y installer. Quelques mois plus tard, ce quartier vertical fut investi par les réfugiés asiatiques qui fuyaient le génocide des Khmers rouges au Cambodge*. Et tout autour, leurs commerces ont éclos, faisant de ce coin du 13ème arrondissement de Paris le plus grand quartier chinois d’Europe.
Défini par un triangle créé par l’avenue de Choisy, le boulevard Masséna et l’avenue d’Ivry, c’est un quartier chinois loin des clichés, habité par des communautés autant asiatiques que maghrébines ou occidentales.
1975 marque aussi l’arrêt du projet des grands ensembles des Olympiades, dont l’urbanisme est remis en question. Sur les fondations avortées, la végétation a émergé, encerclant les tours bétonnées dans une harmonie non calculée.
Je capture ce morceau de ville sur des films Kodak UltraMax. En essayant cette pellicule les premières fois, je la trouvais trop saturée. Ici, elle ravive le rouge écaillé des murs et le côté défraîchi des grands ensembles propres aux années 70. Ici, rien ou presque n’a changé depuis 50 ans.
*L’INSEE recense 20 000 immigrés asiatiques en 1975 et 104 000 en 1982. Parmi ces immigrés, on compte des ethnies du Vietnam, du Laos et du Cambodge, mais aussi des minorités chinoises qui formaient une proportion importante dans les villes de ces pays (Michelle Guillon, Les Asiatiques en France, article de 1995).